Durant la campagne « Haïti Twist », qui tente de comprendre les séismes qui frappent l’île des Caraïbes, soixante-cinq de ces « gardiens des profondeurs » ont été déployés, à raison d’un tous les 5 kilomètres sur une ligne de 300 kilomètres.
Avant que la chasse en mer ne commence, pour les récupérer et collecter leurs précieuses données. « Cette merveille pourrait enregistrer le mouvement d’un crabe marchant à côté d’elle », déclare Pascal Pelleau, en préparant l’un des sismomètres de fond de l’océan pour le plongeon.
Ingénieur en chef sur le Pourquoi-Pas ?, il est l’un des vétérans de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) à bord, avec plus de trente ans de service à son actif. « Ils doivent être calibrés juste avant d’être déployés ; nous ne pouvons pas tous les préparer très à l’avance. »
Ces ocean-bottom seismometers (OBS) sont dotés d’une horloge interne à quartz sensible aux différences de température. Pour s’assurer qu’elles subissent le moins de variations possible, Pascal Pelleau et son équipe connectent les instruments à un dispositif relié aux satellites - dont les horloges sont plus stables - qui survolent la région, quelques heures avant le lâcher.
« Car il faut savoir précisément quand l’onde sismique provoquée par le canon à air du navire atteint l’OBS, explique-t-il. Nous tolérons une variation de l’horloge interne de 22 millisecondes par jour au maximum. » Les soixante-cinq OBS de la campagne « Haïti Twist » sont déployés un à un, tous les 5 kilomètres, sur une ligne d’environ 300 kilomètres.
Il n’y a pas beaucoup de temps pour se détendre entre chaque mise à l’eau, toutes les trente à quarante minutes. Les équipes spécialisées se relaient toutes les quatre heures pendant les près de deux jours que prend cette mise en place, veillant à ce que chaque instrument soit prêt. Lestés par des ancres en fer, les OBS sont largués par une petite grue avant d’entamer leur voyage au fond de la mer. Pendant la mission d’étude des failles sismiques enserrant Haïti, l’OBS déposé le plus profondément a touché le sol à 5 500 mètres sous le niveau de la mer.
C’est la limite au-delà de laquelle il risquerait d’imploser sous la pression de l’eau. Nous l’avons baptisé « gardien des profondeurs », explique Chastity Aiken, sismologue. « On se sent plus responsable d’eux quand on leur donne un nom. » Signal acoustique Une fois sur le plancher océanique, les sismomètres attendent dans l’obscurité les ondes générées par les canons à air du navire qui auront voyagé jusqu’à 40 kilomètres sous terre avant de renvoyer un écho.
Mais avant que les chercheurs puissent extraire les données enregistrées par les OBS, il faut les ramener à la lumière. Une chasse en mer commence. Depuis le laboratoire, Pascal Pelleau et son équipe envoient à intervalles réguliers un signal acoustique d’une fréquence spécifique, intégrant un code binaire adapté à chaque OBS. « C’est comme si nous faisions un appel à chacun d’entre eux avec leur propre numéro de téléphone, explique-t-il.
Dès que l’OBS l’entend, il se dit : “O.K., ils m’appellent !” La batterie interne envoie un courant à une minuscule plaquette en acier inoxydable exposée à l’eau. Les électrons accélèrent le processus de corrosion de la plaquette qui se brise en quelques minutes, libérant l’OBS de son ancre pour permettre son ascension. » Le lest, resté au fond de la mer, rouille et se dissout après plusieurs années.
À bord du navire amiral de la flotte océanographique française, la tension est palpable pour la première opération de récupération de la campagne. « Après tant d’années de travail, je suis toujours très émue lorsqu’ils reviennent, surtout le premier de la série », déclare Frauke Klingelhoefer, chercheuse en géophysique à l’Ifremer et responsable de l’analyse des données des OBS. « L’enjeu est de taille pour nous, après tant de préparation.
Sans parler du fait que ce type de campagne est coûteux. » Mais repêcher ces sortes de grosses bouées orange une fois qu’elles ont refait surface est plus difficile qu’il n’y paraît. Sur la passerelle du Pourquoi-Pas ?, l’équipage scrute les flots dans toutes les directions.
Comme chacun de ces équipements parcourt plusieurs kilomètres au cours de sa descente puis de sa remontée à la surface et subit les courants, il est impossible de prédire avec précision l’endroit où il réapparaîtra. Une fois à la surface, sa balise radio est détectée par le navire et indique sa direction. A l’aide de jumelles, l’officier de quart et ses assistants scrutent les vagues à la recherche de la bouée orange et de son petit drapeau.
La nuit, c’est le clignotant de la bouée qu’il s’agit de repérer. Les mots « OBS à la surface » sont le signal de départ des manœuvres d’approche pour amener la bouée sur le flanc du navire, où les marins attendent, chacun armé d’une immense perche munie d’un crochet. Quatre sismomètres perdus Approcher et attraper quelque chose en mer à partir d’un canot pneumatique n’est déjà pas une mince affaire, alors avec un navire de 107 mètres…
Mais « le Pourquoi-Pas ? est extrêmement agile et maniable, notamment grâce à ses propulseurs d’étrave », explique Pierre-Yves Mear, le capitaine. « Avec un navire normal de la même taille, il serait très difficile d’attraper les OBS. » Tous ces sismographes des fonds marins ne sont pas ramenés à bord. De nombreux problèmes peuvent leur arriver comme heurter une pente raide et se renverser, ou se retrouver dans un endroit où ils ne reçoivent pas le signal acoustique leur intimant l’ordre de remonter.
L’objet peut aussi réapparaître en surface sans émettre de signal radio en raison d’une panne. La nuit, si sa lumière clignotante ne fonctionne pas, il est presque impossible de le voir. Selon Pascal Pelleau, en moyenne, 1 % des OBS déployés se perdent au cours d’une campagne. Cette fois, quatre d’entre eux n’ont pas été récupérés, soit environ 2 % des près de deux cents opérations de largage réalisées pendant les cinq semaines d’Haïti Twist.
Il semble que dans les parages où ils ont disparu, les reliefs du fond marin soient particulièrement accidentés. « Pour la modélisation complète d’une faille, ce n’est pas un gros problème si un ou deux OBS nous manquent sur une ligne de soixante-cinq instruments, explique Frauke Klingelhoefer, surtout lorsqu’ils sont proches les uns des autres, comme dans notre cas. »
Il arrive que des OBS perdus lors d’études sismiques s’échouent sur une plage ou soient retrouvés au large par d’autres navires. Une plaque apposée dessus indique que la récompense pour les rapporter à l’Ifremer est de 500 dollars (455 euros). L’adresse électronique de Pascal Pelleau y est imprimée.
Si vous trouvez une de ces étranges bouées orange, merci de la lui envoyer.
Source Le Monde | Andrea Prada Bianchi | 26 août 2024 | Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Jacquin
Source Le Monde | Andrea Prada Bianchi | 26 août 2024 | Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Jacquin